Je suis tombé aujourd’hui sur cette vidéo « qui fait le buzz ». Il s’agit d’un « duo d’artistes » qui s’est nommé « Pensée Sauvage » et dont la première vidéo, « Réveillons nous » a pour but de, justement, réveiller nos consciences écologiques.
Et comme pour les tribunes d’artistes, ce genre de vidéo me laisse un goût amer dans la bouche. Car même si je ne doute pas une seconde de la sincérité de ce duo (trio sur la vidéo mais duo de créateurs), il y a tellement de choses qui m’irritent dans ce clip, tant sur le fond que sur la forme, que je ne peux m’empêcher de penser que c’est totalement contre-productif par rapport au but qu’ils visent.
La forme : de l’ultra marketing au service de la cause ?
Premier point qui me chagrine : la forme. Effectivement, Pensée sauvage c’est beau et délicat. Mais c’est surtout ultra marketé. Et même si je ne fais pas partie de ceux qui aiment dénoncer le marketing pour ce qu’il est intrinsèquement (c’est un outil qui peut être bien ou mal utilisé), force est de constater que c’est dommage de « cracher » sur le système… tout en utilisant ses grosses ficelles pour faire le buzz avec sa vidéo. Un peu en mode « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
En cliquant ici, vous acceptez de recevoir l'ebook et notre newsletter à fréquence... variable (notre disponibilité étant très fluctuante :-)
Vous ne recevrez jamais de spam et vos données ne seront jamais cédées à des tiers
Prenez la fin de la vidéo de Pensée Sauvage : « on espère que vous avez aimé, abonnez-vous avec la cloche pour ne rien rater de nos prochains vidéos ». Pourquoi pas, là encore, je ne juge pas et je sais à quel point il est difficile de faire exister son travail dans le monde du web… Mais quand tu passes 10 minutes à dénoncer notamment l’impact du numérique sur le climat, et de nos comportements face aux écrans … et que tu incites les gens à recevoir par email une notification pour toutes tes nouvelles vidéos en Full HD… Ça me dérange un tout petit peu.
Au-delà de ça, autant je trouve très sympa l’idée d’associer « Art » et « prise de conscience des enjeux climatiques / écologiques », autant je trouve que l’accroche « réveillons-nous » est un peu « green washing » quand tu fais partie d’un collectif de Youtubeurs (grands écolos devant l’éternel), que tu as participé au Festival de Cannes et que tu as été interviewé pour Elle…
Vous verrez peut-être un peu de jalousie envers Pensée Sauvage dans mes propos. Il y a effectivement certainement un peu d’amertume liée au fait que des gens comme nous, mais aussi d’autres blogueurs, se battent depuis des années pour aligner leurs VIES dans leur ensemble, et leurs pratiques du web, avec leurs objectifs écologiques sans avoir aucune retombée médiatique. On investit du temps (beaucoup), de l’argent (un peu) pour justement essayer d’éveiller des consciences sans jamais que l’intelligentsia médiatique ne daigne s’intéresser à nous. Alors voir débarquer des gens qui effectivement, avec une vidéo très marketing glâner plus d’audience que tu n’en auras jamais, en portant un message que toi tu essayes d’INCARNER depuis déjà des années… Effectivement, ça m’irrite un peu.
Accordons leur peut-être le bénéfice du doute : effectivement, le succès de quelques Youtubers et autres influenceurs sur le thème de l’écologie fera peut-être bouger les lignes. Et j’en serais le premier ravi car nous partageons le même but. Mais j’ai de sérieux doutes car j’ai pu constater « dans la vraie vie » à quels points les gens « normaux » se sentent jugés et donc blessés par ces appels qu’ils considèrent comme profondément condescendants…
Le fond : un alignement de banalités et une vision de la réalité biaisée ?
Sur le fond, difficile de ne pas être d’accord avec la plupart des affirmations faites dans la vidéo. Vidéo qui tombe d’ailleurs très vite dans le manichéisme. Oui, tout est plus facile quand la réalité est présentée en mode « noir ou blanc ». Sur un sujet que je connais bien par exemple : l’industrie, immédiatement mise dans le camp des « méchants ». OK, je veux bien, pourquoi pas. Mais le monde de demain ne se fera pas sans industrie ! Qu’il faille trouver une nouvelle manière de faire fonctionner l’industrie, oui, mille fois oui. Mais opposer « le vieux monde de la noire industrie » et « le nouveau monde des blanches start ups » est un raccourci aussi simpliste que… faux ! Et si justement on mettait notre énergie à aller bosser dans l’industrie et faire changer les choses plutôt que de menacer de ne pas y aller ?
Alors oui, nous devons vivre autrement, nous devons réduire notre empreinte écologique individuelle.
Et oui nous devons nous « réveiller » en arrêtant de mettre de côté les faits qui ne nous plaisent pas.
Et indéniablement, il reste du boulot à faire pour faire bouger les consciences sur ce point.
Mais je suis convaincu que la méthode employée par Pensée Sauvage ne fonctionnera pas : pas besoin d’avoir fait 20 ans d’étude en psychologie comportementale pour comprendre que ce n’est pas en mettant violemment les gens devant leurs contradictions qu’ils vont aussitôt changer de comportement. Au contraire, certaines études montrent un renforcement des anciennes attitudes, en réaction !
Ne parlons pas du « ciblage » plus que bizarre de la vidéo ! Car si l’on revient au « marketing » de cette vidéo, les exemples pris sont assez frappants : « toi qui a profité du confinement pour apprendre la guitare avec un tuto ou faire des abdos avec une appli » ou « toi qui aime manger des sushis via Deliveroo ». On s’adresse donc plutôt à un cas particulier, genre « jeune très urbain sans enfants » … à savoir une part minime de la population plutôt qu’à la société dans son ensemble. Donc difficile de porter un message à vocation universaliste en adoptant les codes d’une petite minorité !
La plupart de mes connaissances ont plus passé leur confinement en mode « télétravail et école à la maison » ou « travail dans les champs, les écoles ou les usines » qu’en mode « glandouille sur Netflix » ou Deliveroo ! Et clairement, pour ma part, à partir du moment où on fait mine de s’adresser à moi mais sans aucune accroche liée à ma « vraie vie »… eh bien ça n’ a aucun impact sur mes comportements voire l’effet inverse que celui attendu.
Idem avec l’exemple du vélo que prend Pensée Sauvage : c’est sûr, ce serait super que tout le monde s’y mette. D’ailleurs, c’est top de pouvoir prendre un Vélib à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, et de se passer de voiture en grande agglomération grâce aux transports en commun. Et derrière, facile de juger les « bouseux » qui prennent encore leur voiture pour aller au supermarché (qui plus es non bio – so 2000 !). Mais dans notre nouvelle région, quel est mon choix quand il y a 2 TER par jour et aucune piste cyclable sur la départementale pour aller faire mes courses ? Où est MA responsabilité individuelle ? En quoi me traiter de feignasse va faire en sorte que les pistes cyclables se construisent et les transports en commun se développent en zone rurale ?
Bref, il y a un décalage dingue entre le monde tel qu’il est vu par les porteurs de cette vidéo et la réalité de millions de français.
Se raccrocher à la vraie vie pour avoir vraiment de l’impact
Vous me trouverez peut-être très sévère avec cette vidéo qui, somme toute, partage notre objectif de faire changer les choses.
Mais qui aime bien châtie bien.
Personnellement, nous voyons dans notre nouveau quotidien entouré de cadres, d’employés, de fonctionnaires, d’ouvriers, d’agriculteurs de pleins de secteurs différents (bref, d’une diversité bien plus importante de profils que lorsque nous étions en région parisienne), que la prise de conscience écologique passera par une approche plus concrète, « terre à terre » et moins culpabilisante que celle poussée dans la vidéo de Pensée Sauvage.
La majorité des gens n’a pas « envie » de polluer, de détruire le vivant, de laisser une planète pourrie à ses enfants. Bien au contraire.
Mais c’est clair : cette majorité de gens n’a à la fois pas forcément les connaissances de fond sur le sujet (alors à nous de savoir porter les messages de manière PEDAGOGIQUE) ni la possibilité de se détacher d’un système qui nous tient tous plus ou moins.
Prenons l’exemple de l’agriculture, que l’une des créatrices a l’air de bien connaitre : si demain, on arrête tous de manger de la viande du jour au lendemain, que fait-on de tous nos éleveurs et de l’impact qu’ils ont sur nos campagnes ? De la même manière, organiser la transition agricole vers des structures plus diversifiées et plus petites, par exemple, suppose de se pencher sur la problématique des prêts bancaires qui étrangle déjà beaucoup de nos agriculteurs.
Evidemment, il faut qu’on s’oriente vers une agriculture plus propre, plus locale, moins carnée. Mais cela doit se faire en prenant en compte la réalité du monde car on n’a jamais rien transformé avec des incantations.
Vous le savez, à Famille Durable, nous avons une conviction : oui, nous avons tous une part de responsabilité, mais surtout que si tu veux changer les choses, sois toi-même exemplaire, relève toi les manches et agis.
Or, agir de manière exemplaire, c’est aussi appréhender la complexité du monde.
Certes, ce n’est pas la tendance actuelle où, noyés sous la masse des informations poussées en temps réel, les médias nous dépeignent un monde simpliste où tu fais soit partie du camp du Bien, soit partie du camp du Mal.
Mais si nous voulons gagner ce combat du millénaire, si nous voulons VRAIMENT avoir un impact, nous devons réussir à concilier urgence écologique et réalités multiples et complexes de nos vies à tous. Et pas uniquement d’une petite minorité qui parle pour elle-même.
Alors chiche ?
Peut-être que ce énième article tombera dans les limbes du web, qui se ne se fera pas écho de cette colère éphémère.
Ou chiche : essayons de faire « converger les luttes ». Poussons pour que les influenceurs « bankables » arrêtent de tourner en circuit fermé et commencent à s’intéresser aux petits, aux laborieux comme nous et comme de nombreux autres qui, dans l’ombre, essayent de faire leur part du colibri. Avec leurs contradictions, certes. Mais l’espoir de faire bouger les lignes en profondeur et pas simplement en « surface médiatique ».
S’ils veulent en parler avec nous, ils savent comment nous contacter 😉
15 - 15Partages
- 15Partages
15
Laisser un commentaire