Il y a presque trois ans, alors que nous étions à Bali pour notre voyage de noces, je me souviens d’une discussion avec Blandine durant laquelle j’ai réussi à crever l’abscès: pour la première fois, je l’ai réellement, explicitement et simplement formulé : je veux une vie différente de celle que j’ai aujourd’hui.
C’était comme si le fardeau de plusieurs années venait de tomber de mes épaules, plusieurs années à broyer du noir dans des jobs plus ou moins différents, différents dans la forme mais pas vraiment dans le fond. Finalement, la vraie libération était moins d’admettre que je voulais une vie différente que de reconnaître que je pouvais abandonner ce à quoi j’avais été conditionné : une vie socialement réussie, dans les sphères de la “France d’en haut”, celle qui gagne 15000 euros par mois et qui se félicite tous les jours d’avoir bien bossé à l’école.
Je l’avais donc admis: je voulais autre chose. Et si je ne savais encore exactement quoi, il y avait tout de même des principes clairs : plus de simplicité; plus de temps pour mes proches, mes futurs enfants et moi-même, plus de proximité avec la nature, et bien sûr une activité professionnelle qui a du sens pour moi. Vaste programme me direz-vous.
Mais j’avais une énorme chance : Blandine, dans le sillage de notre mariage , qui nous avait fait beaucoup réfléchir sur le sens que nous voulions donner à notre couple et notre famille, reconnaissait qu’elle voulait aussi changer de vie selon les mêmes principes.
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La fin de notre vie “Corporate” était donc décidée faute de pouvoir encore l’acter. Néanmoins deux décisions concrètes avaient été prises lors de notre voyage de noces à Bali : je décidais la création de mon premier blog, le Home Geek Consultant, puis nous décidions ensemble la création de notre premier Kanban de foyer.
Si je dois avouer que mon premier blog n’existe plus, le Kanban lui existe toujours. Il a certes été relooké, purgé, disgracié et réhabilité de nombreuses fois, il reste toujours fidèle au poste… et un compagnon essentiel de notre changement de vie.
Cela fait donc 3 ans que nous avons initié notre changement de vie avec un Kanban (et d’ailleurs on vous explique comment vous y prendre ici avec ce mode d’emploi), et qu’il nous a aidé à établir dans notre vie des transformations bien réelles : retour en France, abandon du salariat pour le freelance, ainsi qu’une amélioration de notre qualité de vie en de nombreux points (alimentation, consommation etc).
Allez, petit tour d’horizon de notre expérience de changement de vie avec notre Kanban!
Bosser avec un Kanban, c’est comment concrètement?
Quiconque a déjà bossé sur un projet conséquent en entreprise le sait très bien : un outil de gestion de projet qui n’est pas utilisé tous les jours ou fréquemment est amené à péricliter et donc perdre toute sa valeur. Introduire un Kanban dans sa vie, c’est donc avant tout une révolution culturelle : il faut s’y exposer souvent, idéalement quotidiennement.
Et c’est ce que nous avons essayé de faire : une séance hebdomadaire plus longue pour le revoir de fond en comble, et une séance quotidienne de quelques minutes pour le mettre à jour. Bon, pour être honnête, Rome ne s’étant pas faite en un jour, il nous a fallu du temps pour trouver notre rythme : il y a toujours le boulot, des vacances etc pour interrompre une bonne dynamique et remettre les compteurs à zéro. Mais bon, le Kanban est en soi un bon indicateur de sa motivation à changer de vie : si ça ne marche pas encore bien, on persévère, et on fait des petites modifications pour que l’un et l’autre on se sente bien avec l’outil et pour qu’on prenne chacun plus de plaisir à l’utiliser.
Nous avons très vite réalisé que le Kanban était pour nous plus qu’un outil: c’est un lieu à part entière. Un lieu de rassemblement, un peu le sanctuaire de notre foyer qui nous rappelle ce que nous avons défini comme étant important dans notre vie. Et du fait de sa position en tant que lieu important de notre foyer, il est important de faire en sorte que nous nous y trouvons tous les deux à l’aise et en phase avec sa forme et son contenu.
Il était important pour nous de faire en sorte que nos temps Kanban soient des moments de plaisir et de joie, et pas juste des moments comparables à gérer notre paperasse. Non, le Kanban est un lieu d’échange sur nos aspirations et nos priorités, et pour perpétuer son existence il nous fallait créer des instants mémorables. C’est pourquoi nous avions décidé de créer un espace “cocooning” autour de notre Kanban : bean bags et coussins, accompagnés de boissons chaudes et snack – notre Kanban, c’était l’instant détente de la semaine. Nous nous étions même mis le challenge de s’offrir chacun un petit cadeau par semaine, afin de nous motiver à faire installer durablement l’instant Kanban. Ca n’a pas duré longtemps (une fois par semaine, c’était un peu beaucoup), mais l’idée était vraiment prometteuse.
Alors devant son Kanban, on discute; on reprend tous les post its, en commençant par la droite : on célèbre d’abord ce qui a été réalisé; puis on part progressivement vers la gauche, et on vérifie le statut de ce qui est en cours, puis on voit si l’ordre des priorités a changé. Enfin, on revoit son “backlog” que nous avions rebaptisé “goldmine” fin de nous l’approprier davantage. Ici, le but c’est de voir si son backlog est toujours d’actualité; or il est surprenant de voir à quel point de nombreuses idées nous paraissent évidentes un temps et deviennent obsolètes très vite. Dans ce cas pas de quartier, nous les enlevons, ou les mettons en bas de la liste.
Nous n’avons jamais cherché à appliquer des règles strictes à notre Kanban, d’ailleurs cela aurait été très bête étant donné qu’un Kanban a très peu de règles. Par contre, nous avons toujours fait en sorte qu’il reflète en permanence l’état réel de nos projets ainsi que de nos aspirations.
La clé : l’équilibre entre nous
Notre vrai écueil dans la mise en place de notre Kanban à la maison était le déséquilibre qui existait entre Blandine et moi: déjà passionné depuis un moment par les questions d’agilité, j’avais déjà utilisé le Kanban sur des projets clients en tant que consultant, et j’aimais beaucoup l’outil : je le visualisais, et j’avais de nombreuses idées sur comment on allait pouvoir l’adapter pour notre foyer. A l’inverse, pour Blandine il s’agissait d’un outil absolument nouveau, aussi bien conceptuellement que concrètement, et elle était en mode “wait and see”.
Le risque pour nous était donc que ce déséquilibre vis à vis du Kanban se traduise par un déséquilibre dans nos projets de couple: je dirige, elle suit, parce qu’elle ne sait pas comment s’y prendre, comment contribuer, comment participer.
Il était donc primordial de très rapidement rééquilibrer la situation entre nous vis à vis du Kanban, et cela nous l’avons fait de la manière suivante: Nous avons fait en sorte que Blandine puisse se familiariser avec l’outil, se l’approprier, et y laisser sa touche. Par exemple, elle a fait la suggestion de diviser le backlog en plusieurs projets parce que cela rendait les choses plus claires pour elle ; elle a aussi changé l’esthétique du Kanban parce que mon approche “tout fonctionnel” ne lui convenait pas. Aussi nous avons énormément échangé sur la mécanique, le quoi, le quand, le comment etc, et nous avons défini nos propres règles du jeu.
Et à chaque fois que nous travaillons sur notre Kanban, nous mettons tous les deux la main à la pâte pour écrire, bouger les post-its etc. Nous restons tous les deux ‘actifs’ et impliqués, nous ne laissons pas le déséquilibre s’installer, car celui-ci se traduira à terme par un déficit d’implication sur les projets.
La gestion des gros projets
La beauté d’un Kanban est qu’il ne trie pas ce qu’il peut contenir ou pas. Il peut contenir n’importe quoi, l’important est simplement de prioriser et de limiter son travail en cours. Ainsi, notre Kanban nous a été très utile pour gérer nos “gros projets” de ces dernières années. Par exemple : notre retour en France, le déménagement avec un bébé. Avec notre Kanban, nous avons transformé cette source de stress et de complications qu’est le déménagement en projet strictement rationnel:
1/ nous avons libéré une rangée de notre Kanban
2/ nous avons construit notre backlog déménagement (en nous focalisant toujours sur les résultats à atteindre)
3/ nous avons tout priorisé
4/ nous sommes passés à l’action
En revoyant tous les jours notre progrès, nous pouvons voir facilement si nous sommes sur les rails ou en retard, et nous adapter en conséquence. Cela nous donne aussi la possibilité d’ajouter certains éléments manquants etc. Si certaines tâches doivent être faites avant une certaine date, il suffit juste d’ajouter cette date sur le post-it, puis là aussi on s’adapte.
Cette faculté du Kanban à pouvoir articuler le court terme et le long terme nous a été très précieuse; alors que nous ne sommes généralement pas amenés à penser long terme (nos jobs se préoccupent rarement du long terme pour se préoccuper du projet à court terme), le Kanban nous a donné cette possibilité de donner une chance à nos aspirations à long terme, en les mettant sur un pied d’égalité avec les projets à court terme.
Lorsqu’un gros projet arrive, les objectifs à long terme sont dépriorisés ; à d’autres moments, on saisit les opportunités de pouvoir les mettre au centre de nos priorités, et le Kanban nous donne cette flexibilité permanente en fonction des contraintes de notre vie.
Et si on laisse le Kanban prendre la poussière…
… pas de problèmes! Cela nous est même arrivé de nombreuses fois : entre notre départ de Londres et notre installation en Bourgogne ; pendant les premiers mois après la naissance de notre fils ; ou même à certains moments où l’on est happé par d’autres choses de la vie; il nous arrive d’oublier notre Kanban, de le laisser en plan, et de mesurer chaque jour le fossé qui augmente entre l’état de nos vies actuelles et l’état du Kanban resté bloqué à l’instant T-1.
Cela nous est arrivé plusieurs fois, mais là encore ce n’est pas foncièrement un problème. Nous nous sommes simplement demandés la raison profonde qui nous a amenés à cette situation : quand c’est la naissance de notre fils, on peut en conclure qu’il n’y a pas de problème fondamental avec le Kanban. Par contre, peut-être qu’il peut s’agir d’un manque d’identification au Kanban, peut-être celui-ci ne reflète pas parfaitement nos aspirations, nos projets, ou son mode de fonctionnement est trop compliqué et du coup il est plutôt un inhibiteur d’action qu’un facilitateur. Auquel cas cela peut valoir le coup de tout remettre à plat, ou d’identifier des changements simples à effectuer qui peuvent nous faciliter la vie et rendre sa valeur au Kanban.
La santé de son Kanban est généralement un bon indicateur de la santé de ses projets. Par exemple, pour la naissance de bébé E., il est bien évident que nous avions laissé nos projets de côté pendant plusieurs semaines afin de pouvoir prendre le temps pour Blandine de se reposer et se remettre de l’accouchement, puis pour tous les deux de profiter de notre nouveau-né et prendre la mesure de notre rôle de nouveaux parents. Et c’est tout à fait normal. Alors certes oui nos projets sont restés en stand by pendant ce temps là, et après un mois ou deux, la présence du Kanban nous a rappelé à tous les deux qu’il fallait aussi qu’on reprenne la marche de nos projets.
Conclusion : la santé du couple
Vous connaissez sans doute la citation de St Exupéry qui dit que s’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre mais regarder dans la même direction. Or je dis souvent avec un brin d’humour que le Kanban est certainement un des meilleurs outils pour y parvenir. Il nous donne le prétexte pour échanger, se mettre d’accord, effectuer des compromis, puis se mettre en ordre de marche pour avancer dans une direction commune, et ce dans le respect mutuel et avec une égalité réelle et observable.
Je suis effaré de voir que tant de couples finissent par se séparer faute d’avoir vraiment donné une chance à leurs projets de couples, à leurs aspirations à la fois individuelles et communes dans laquelle chacun avait la place de s’épanouir. Je ne crois personnellement pas à la fatalité, au “désolé mais je ne t’aime plus” qui vient un jour sans demander. D’ailleurs ne dit on pas lors de son mariage que s’engager dans celui-ci est une démarche quotidienne, qui consiste à renouveler chaque jour ses voeux?
Ce serait très pédant de dire que notre mariage repose sur notre Kanban, évidemment il ne peut se réduire à ça. Mais il est déjà plus réaliste de dire que le Kanban nous a permis de ne pas nous laisser embarquer dans nos jobs respectifs, dans des quotidiens lourds et minutés capables d’aspirer la moindre once d’énergie qu’il reste en nous. Le Kanban nous a aidé à garder en ligne de mire ce qui était vraiment important pour nous, et à garder le cap malgré les embuches.
Enfin, je dirais que nous avons tous les deux hâte que notre fils (et autres futurs enfants) grandisse et soit lui aussi en mesure d’avoir sa place autour du Kanban, et que ce Kanban de couple devienne notre Kanban de famille. Car c’est là une des caractéristiques de cet outil formidable : il est inclusif, et chacun peut y trouver sa place.
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Marie Obrigada
Bonjour,
Je vous remercie pour cette série d’articles sur le kanban, je suis totalement conquise. Je compte bien profiter des congés pour le mettre en place. Comme je suis convaincue que prendre un temps régulier pour échanger en couple sur la définition et l’avancé de nos rêves et projets de couple et personnel est essentiel mais si facile. Donc vraiment merci de m’avoir permis de découvrir cet outil, bien plus adapté que les « to do lists » (ou en tout cas complémentaires) pour le suivi des projets au long court ou avec étapes. Bref, je ne vais pas réécrire les articles ! 😉 Mon ainée a 3,5 ans et futée comme elle est, je crois qu’elle pourrait vite nous donner des idées de projets.
Thibaud
Bonjour Marie,
Ravi que cette serie d’articles te parle et meme t’inspire a tenter le coup 🙂 je serais ravi de recevoir ton retour d’experience a l’occasion. Mon conseil ultime serait de ne pas du tout te prendre la tete avec a juste “essayer de faire bien” – commence juste simplement et apporte des ameliorations au fur et a mesure qui parlent a tous les “utilisateurs”.
Je suis content pour toi que tu puisses aussi y associer ton ainee – c’est quelque chose que j’ai vraiment hate de faire avec mon fils (qui est encore trop jeune a 15 mois :)). Meme si elle ne sait pas encore ecrire, tu peux lui faire dessiner sur in post it ou une feuille ce a quoi elle aspire / ce qu’elle aimerait bien faire, afin de les inclure dans la liste des priorites familiales – un joli moyen d’y associer un jeune enfant!
N’hesite pas si tu as des questions! Bon courage pour la Kanban aventure!